Les structures natives
Si
l'action des organites cellulaires, lors de la synthèse
d'un polypeptide, est réduite au simple enchaînement
linéaire d'acides aminés, qu'est-ce qui va permettre à
ce polypeptide d'acquérir une structure 3D fonctionnelle
? C'est sa capacité à adopter spontanément
une conformation bien définie, ce qu'on appelle sa capacité de
morphogenèse autonome : un polypeptide dans
une cellule ne va pas rester désordonné mais va au contraire de
lui-même évoluer vers une conformation organisée.
Il a très vite été
constaté que, pour une même séquence en acide
aminé, la structure obtenue est toujours
la même : cette structure n'est donc pas le fruit du hasard, mais
sa mise en place répond à des règles bien définies.
Quels sont les phénomènes qui guident la
morphogenèse d'une protéine ?
Pour y répondre, nous
allons devoir adopter une approche très géométrique de
la chimie moléculaire. Commençons par étudier les unités
de tout polypeptide, les acides aminés, et la manière dont ils
s'enchaînent, afin de comprendre les différentes possibilités
de conformation qu'offre leur association.
Une
chaîne polypeptidique est formée par
un plus ou moins grand nombre d'a-amino
acides unis par des liaisons peptidiques. La succession de ces unités
peptidiques forme une chaîne principale d'où
se projettent latéralement leurs radicaux,
aussi appelés leurs chaînes latérales : ce sont elles qui
confèrent des propriétés géométriques
et fonctionnelles à tout polypeptide.
Une chaîne polypeptidique
est ainsi entièrement définie par sa séquence des résidus
amino acides (ce qui reste des alpha-amino acides après que les
liaisons peptidiques aient été formées), qui détermine
sa structure primaire.
a. Structure générale d'un a-amino acide
Les a-amino
acides ont pour formule générale :
L'atome
de carbone Ca est uni par covalence
à un groupe carboxyle COOH, à un
groupe amine NH2, à un atome d'hydrogène
H, et à une chaîne latérale
R, cette dernière étant caractéristique de chaque
a-amino acide. L'atome de carbone Ca
se présente donc comme le centre de l'alpha-amino
acide.
Voici quelques acides aminés
:
b.
Les différents a-amino acides
Ils
sont au nombre de 20. On distingue trois groupes d'a-amino
acides selon la nature de leur radical :
-
les a-amino acides apolaires
-
les a-amino acides polaires
neutres
-
les a-amino acides polaires
ionisables, qui sont les plus complexes
Le caractère polaire ou apolaire des chaînes latérales est fondamental car il déterminera l'hydrophobie ou l'hydrophilie de ces dernières, ce qui, comme nous le verrons, a une extrême importance pour le repliement.
1.2 Comment les a-amino acides s'enchaînent-ils ?
Lors de la synthèse de la structure primaire au sein de la protéine, les alpha-amino acides se lient de la manière suivante :
Les éléments se
liant entre eux sont ici les extrêmités COOH
et NH2. La réaction, catalysée par le ribosome, a pour
conséquence l'éjection d'une molécule d'eau et la formation
d'une liaison covalente de deux groupes CO et NH,
appelée liaison peptidique.
La formule générale
d'un polypeptide est donc :
aa1, aa2, aa3 et aa3 sont appelés des résidus amino-acides, c'est-à-dire des a-amino acides liés entre eux.
La
liaison entre le carbone et l'azote est, d'après les formules, une liaison
simple : elle devrait permettre une rotation libre
entre ces deux atomes. Cependant, on remarque que les quatre atomes de la liaison
peptidique (en rouge ci dessus) sont toujours inscrit
dans un plan : la liaison est donc bloquée.
Ce
bloquage s'explique par une répartition originale des électrons
: les quatre électrons de la liaison double C=O et les deux électrons
de la liaison simple C-N se mettent en commun pour
former une nuage électronique qui empêche
la rotation au niveau des deux liaisons :
Cette
répartition a pour effet la formation d'une liaison double partielle
entre l'atome de carbone et l'atome d'azote. Ainsi, on peut parler de
plan de la liaison peptidique.
Les seules liaisons dont l'orientation
reste libre sont celles qui entourent chacun des
carbones alpha des résidus, porteurs des radicaux. Le
squelette polypeptidique apparaît donc comme une succession
de plans, ce qui limite énormément les degrés de
liberté de sa structure.
Les deux angles de rotation autour du carbone alpha sont appelés phi et psi. Eux non plus ne sont pas totalement libres : les radicaux des différents résidus, notés R, occupent souvent beaucoup de place dans l'espace, repoussant les autres atomes : ils limitent eux aussi les possibilités de rotation. La glycine, en ce sens, est particulière : sa chaîne latérale étant constituée d'un unique atome d'hydrogène (sur le schéma ci-dessus, R correspond à H pour une glycine), elle laisse une grande liberté de mouvement à la chaîne.
On peut remarquer sur l'image ci-dessus que dans le plan de la liaison peptidique, les carbones alpha de deux résidus consécutifs sont diamétralement opposés ; en effet, si Ca était à la place de O, les radicaux des deux résidus seraient bien trop proches, se repousseraient, et la liaison ne serait pas stable. Ces deux possibilités de configuration sont appelées cis et trans (ou Z et E) :
Les
radicaux sont ici resprésentés par des cubes : il est évident
qu'ils sont bien trop proches dans une liaison cis. Toutes les liaisons, dans
une chaîne polypeptidique, sont donc de type trans,
ce qui donne le motif d'enchaînement suivant :
La proline est la seule exeption à cette règle : en effet, son groupement R, qui est un noyau pyrrole (4 carbones et un azote), inclut l'azote qui est impliqué dans la liaison peptidique (celui-ci n'est plus lié à un hydrogène mais à un des carbones pyrroles) : il en résulte un quasi équilibre entre les isomérie cis et trans (elles sont aussi stables l'une que l'autre), comme on peut le voir ici :
La proline, pour ces propriétés, est utilisée en configuration cis pour faire effectuer des tournants à la chaîne polypeptidique : elle joue un rôle important dans les structures secondaires, que nous allons maintenant étudier.
La
grande souplesse de la chaîne polypeptidique permet la mise en place rapide
et spontanée de structures simples mais stables
: des hélices, des feuillets et des coudes, qui constituent sa
structure secondaire. Ces conformations locales
n'affectent qu'au maximum quelques dizaines de résidus, et sont universellement
présentes dans les polypeptides.
Ce sont Linus Pauling et Robert
Corey qui les ont découvertes, dans le début des années
50, avant que leur présence dans les protéines ne soit confirmée
expérimentalement par les diagrammes de diffraction de rayons X de Max
Perutz, puis par la description de la structure à haute résolution
de la myoglobine par John Kendrew.
La
structure primaire et linéaire constitutive d'une protéines s'organise
localement en structures secondaires aux formes géométriques bien
définies dès sa synthèse.
La première des structures
en question, et la plus courante, est l'hélice.
L'obtention
d'hélices alpha se produit par la rotation des
plans de chaque unité peptidique : lorsque le plan d'une liaison
peptidique tourne d'un angle de -57° tandis que le plan de la liaison peptidique
suivante tourne d'un angle de -47°, la chaîne polypeptidique s'enroule
en une hélice appelée hélice alpha
droite. C'est de loin l'hélice la plus retrouvée dans les
protéines globulaires.
Cette hélice a 3.6 résidus
par tour et le cycle se constitue de 13 atomes, pour cela cette hélice
est notée 3.613. La translation d'un résidu
représente 1.50 Å sur l'axe de l'hélice (1Å = 1 Angström
= 0.1 nm) : un tour d'hélice correspond donc a une translation de 5.41
Å (1.50 * 3.6 Å). Cette structure est stabilisée
par l'établissement de liaisons hydrogènes, d'une longueur
de 2.86 Å, entre l'oxygène d'un résidu
et l'hydrogène du quatrième résidu qui lui fait
suite dans la chaîne en direction de l'extrémité C-terminale.
Les
chaînes latérales des résidus amino-acides se projettent
vers l'extérieur de la chaîne, sans
interférer avec la structure de l'hélice ; elles sont légèrement
inclinées vers l'extrémité N-terminale.
La proline, comme nous l'avons vu, est un cas particulier
: elle ne peut pas être intégrée à une hélice.
L'extrémité C-terminale
des hélices alpha, où les derniers groupes CO-
sont "libres", est polaire et presque toujours localisée
à la surface des protéines. Dans l'hélice, tous les oxygènes
des groupes CO pointent vers l'extrémité
C-terminale et tous les atomes d'hydrogènes
liés aux azotes pointent vers l'extrémité N-terminale.
Les liaisons hydrogènes sont presque parallèles
a l'axe de l'hélice. Même si une seule liaison hydrogène
n'a pas une grande énergie de stabilisation, 3
liaisons par rotation finissent par conférer à l'hélice
une grande stabilité.
Les hélices alpha peuvent
aussi tourner sur la gauche grâce à une inversion
des angles de rotation des plans des peptides. Cependant, une hélice
alpha gauche est déstabilisée par la proximité
des oxygènes des groupes CO avec les chaînes latérales.
Il existe d'autres hélices que les hélices alpha : le tableau suivant résume les différentes hélices que l'on connaît à ce jour et la valeur des angles correspondants :
Conformations | Angle phi (°) | Angle psi (°) | Résidus par tour (Å) | Translation par tours (Å) |
Hélice alpha droite |
-57
|
-47
|
3.6
|
1.5
|
Hélice alpha gauche |
57
|
47
|
3.6
|
1.5
|
Hélice 310 droite |
-49
|
-26
|
3.0
|
2.0
|
Hélice pi droite |
-57
|
-70
|
4.4
|
1.15
|
Hélice du collagène |
-51
|
153
|
3.0
|
3.13
|
En images :
2.2
Les brins b et feuillets plissés b
Les
brins b sont des portions de
chaîne polypeptidique non enroulées et presque totalement étirées.
Ils peuvent aussi être considérés comme des
hélices à deux résidus par tour avec une translation 3.4
Å par résidu.
Isolées, ces conformations
ne sont pas stables car la chaîne a tendance
à se replier. En revanche, elles sont stabilisées
lorsqu'elles sont incorporées dans les feuillets
plissés b,
qui sont des associations de brins b,
où des liaisons hydrogène
s'établissent entre des groupes CO et NH appartenant à des
brins b adjacents.
Il existe deux types d'associations de brins b : les feuillets parallèles et les feuillets antiparallèles :
Les feuillets antiparallèles sont constitués de brins allant alternativement dans un sens puis dans l'autre alors que les feuillets parallèles sont constitués de brins allant tous dans la même direction.
Ici,
les brins A et B sont antiparallèles : on remarque qu'ils sont liés
par des liaisons hydrogène droites. Les brins B et C, qui sont parallèles,
sont liés par des liaisons hydrogène obliques.
Il convient de rappeler que
ces trois brins appartiennent au même polypeptide.
Les
protéines globulaires contiennent donc des hélices
et des feuillets plissés qui sont des éléments
de structure secondaire régulière où les résidus
consécutifs adoptent la même conformation. Ces éléments
sont connectés par des boucles de
conformation non répétitive
et irrégulière et de longueurs variables, allant de deux a une
vingtaine de résidus. Ces boucles permettent les changements
de direction de la chaîne polypeptidique nécessaires au
repliement 3D de la protéine pour qu'elle atteigne sa structure
native.
Les boucles se situent à
la surface de la protéine globulaire
et sont essentiellement constituées de résidus
polaires, très hydrophiles, qui entrent en interaction
avec le milieu aqueux.Ainsi, les groupes CO et NH de la chaîne
principale établissent des liaisons hydrogène
avec les molécules d'eau du milieu.
Les boucles ne possédant
que quelques résidus sont appelés coudes.
Il en existe plusieurs types :
Les coudes g
sont les coudes les plus simples : ils ne sont constitués que de trois
résidus, et sont maintenus par une liaison hydrogène
(en pointillés rouges) :
Les coudes b,
eux, sont constitués de quatre résidus, et connectent souvent
deux brins b antiparallèles
entre eux, d'où leur appellation "épingle
à cheveux b". Le coude suivant
est constitué d'une proline, et met en jeu
l'isomérie cis qu'elle permet :
Une épingle
à cheveux liée à des brins
b :
L'organisation
de certaines parties de la chaîne polypeptidique en structures
secondaires stables, telles que les hélices ou les coudes, n'est
qu'une partie de son processus de morphogenèse. En effet, d'autres phénomènes
vont influencer la disposition dans l'espace que ces structures adoptent, et
donc la structure tridimensionnelle globale du polypeptide,
qui est appelée structure tertiaire.
Quelles
sont les interactions qui mènent à la stabilisation d'une structure
tertiaire précise ?
3.1 Les interactions internes stabilisantes
Il existe plusieurs interactions intramoléculaires qui stabilisent la structure native d'une protéine.
Les trois liaisons présentées sur ce schéma, avec les forces de Van der Waals, sont les quatre interactions stabilisantes internes à la protéine connues à ce jour.
La
liaison hydrogène n'est pas une liaison aussi forte que celles qui rendent
solidaires les atomes constituant les molécules : ce n'est pas une liaison
covalente, dans laquelle il y a mise en commun d'électrons. Elle se forme
uniquement entre un atome d'hydrogène et un atome
d'oxygène.
La
liaison hydrogène s'explique uniquement par des forces
électrostatiques, c'est à dire provoquées par une
attirance entre des charges positives et des charges négatives.
Les parties des molécules impliquées dans une liaison hydrogène
sont donc polaires.
Rappelons ce qui différencie
une molécule polaire d'une molécule apolaire.
Une molécule polaire présente deux
pôles, un pôle positif et un pôle négatif. Il
ne faut pas la confondre avec une molécule chargée, appelée
ion. En effet, un ion est une molécule dont
le nombre total d'électrons ne compense pas le nombre total de protons,
comme c'est le cas dans toute molécule neutre électriquement.
Une molécule polaire, elle, n'est pas caractérisée
par sa charge totale mais par une inégale répartition des charges
en son sein.
Le dioxyde de carbone, par exemple,
est apolaire, alors que la chlorure d'hydrogène
est polaire.
Dans
une molécule, les charges positives sont portées
par les protons contenus dans les noyaux des atomes tandis que les
charges négatives sont portées par les électrons.
Quelques-uns uns de ces électrons sont impliqués dans les liaisons
covalentes : ils n'appartiennent plus au nuage électronique d'un seul
atome mais se situent entre deux atomes.
Certains
atomes attirent plus les électrons que d'autres : on dit qu'ils sont
plus électronégatifs. Ainsi, dans
le cas de la chlorure d'hydrogène (HCl), le chlore, plus électronégatif
que l'hydrogène, attire les électrons vers lui : le barycentre
des charges négatives est alors décalé par rapport
au barycentre des charges positives, et la molécule
est polaire.
De même, la molécule
d'eau est polaire, les électrons de liaison étant décalés
vers l'oxygène.
La
liaison hydrogène, qui s'établit entre un atome d'oxygène
et un atome d'hydrogène s'explique par une double
polarité. D'une part, le groupement R-H (où R est un atome
tel que l'oxygène ou l'azote) possède une charge
positive du côté de l'hydrogène : en effet, le seul
électron que possède l'hydrogène est impliqué dans
la liaison covalente, et est très proche de R puisque celui-ci
est généralement bien plus électronégatif
que H ; le proton de l'hydrogène, chargé
positivement, se retrouve donc sans charges négatives à
proximité. D'autre part, l'oxygène est souvent bien
plus électronégatif que le ou les atomes auquels il est
lié : il attire les quatre électrons de liaison vers lui. De plus,
il possède deux doublets non liants se projetant vers l'extérieur
: le groupement O=C, par exemple, présente donc une
charge négative au niveau de l'oxygène.
b. Les forces de van der Waals
Ces forces de cohésion sont des interactions faibles entre atomes et molécules situées a une distance appropriée (dite de Van der Waals) les uns des autres. Pour les atomes d'une protéine, cette distance est de l'ordre de 0.4Å. Il s'agit en fait d'interactions dipolaires entre le nuage électronique d'un atome (chargé négativement) et les protons (chargé positivement) du noyau d'un autre atome. Bien que chaque liaison de Van der Waals ne contribue que faiblement a l'énergie de stabilisation de la protéine, leur nombre, extrêmement grand en fait, en fait un facteur important de la stabilisation. Ces liaisons sont fortement répulsives à courte distance (elles empêchent les atomes de s'interpénétrer), mais légèrement attractives lorsque les atomes sont à quelques angströms les uns des autres.
c. Les forces électrostatiques
Il s'agit de liaisons qui s'établissent entre ions de charges opposées, aussi parle-t-on de liaisons ioniques. Ces liaisons sont protégées à l'intérieur de la molécule de la compétition avec les molécules d'eau par l'effet hydrophobe, que nous verrons bientôt. Par exemple, si ces deux résidus sont suffisamment rapprochés, il existe une attraction entre le groupe NH3+ d'un résidu lysine et le CO2- d'un glutamate. La force de cette liaison est liée au milieu (un milieu très salé possède par exemple des ions Na+ et Cl-, qui entrent en compétition). Une même protéine en possède rarement plus de quelques unes et leur contribution globale est donc proportionnellement assez faible.
Les ponts disulfures sont les seules liaisons covalentes d'un polypeptide à se former après l'étape de traduction (de synthèse). Ces ponts ne peuvent se former qu'entre deux résidus cystéine. Ils sont relativement rares et se rencontrent surtout dans les protéines extracellulaires (et non dans les protéines globulaires).
La formation d'un pont disulfure, qui est spontanée, suit la transformation :
La synthèse d'une protéine, puis son existence, se déroulent dans un environnement spécifique, la cellule, dont l'eau représente un constituant majeur. Nous pouvons donc nous douter que cet environnement va avoir une influence déterminante dans le repliement d'une protéine. Quelles sont les interactions existantes entre un polypeptide et l'eau ?
a. Les effets de l'eau sur le repliement de la chaîne
En
observant quelques protéines cellulaires, on peut remarquer qu'un grand
nombre d'entre elles adoptent une conformation sphérique,
dite aussi globulaire, contrairement aux protéines
extracellulaires telles que les anticorps. Le caractère
aqueux du milieu semble donc avoir une influence très importante
sur le repliement d'un polypeptide.
Au
vu de la grande variété des acides aminés dans chaque protéine,
l'adoption d'une conformation globulaire ne semble pas être provoquée
par la présence de certains acides aminés en particulier.
Distinguons deux types de résidus
amino acides : les résidus présentant une polarité électrique,
dits polaires, et ceux n'en présentant pas,
dits apolaires.
On remarque, dans les protéines globulaires, que tous les résidus apolaires se concentrent au centre, alors que les résidus polaires se répartissent sur la périphérie. Les résidus apolaires semblent donc "protégés" de l'eau par les résidus polaires : c'est l'effet hydrophobe.
Comment expliquer une telle séparation entre résidus polaires et résidus apolaires ?
b. Comportement des résidus amino acides avec l'eau et les lipides
Une molécule d'eau, comme nous l'avons vu lors de l'étude des liaisons hydrogène, est polaire. Deux molécules d'eau sont donc capables de contracter ensemble des liaisons hydrogène :
Plus qu'une simple possibilité, la liaison hydrogène est omniprésente dans l'eau liquide et est ce qui forme sa structure particulière : l'eau liquide est constituée d'un réseau de liaisons hydrogène qui se font et se défont.
L'eau semble, pour cette raison, constituer un excellent solvant pour les molécules polaires, c'est à dire avec lesquelles elle peut former des liaisons hydrogènes. Il suffit qu'une partie d'un polypeptide soit polarisée pour qu'elle établisse des liaisons hydrogènes avec le réseau de molécules d'eau. Les parties apolaires, au contraire, semble défavorisées et se concentrent au centre du polypeptide.
De
ce fait, l'effet hydrophobe est un élément
particulièrement important dans la mise en oeuvre du repliement. Nous
trouvons ici les effets hydrophiles et hydrophobes
qui nous permettent d'expliquer la mise en place d'une
structure tertiaire définie :
- les parties de molécules
qui sont polarisées vont subir l'effet
hydrophile, elles vont former des liaisons hydrogènes avec le
réseau de molécule d'eau et ainsi s'orienter vers le milieu, vers
l'extérieur de la molécule repliée.
- les parties de molécules
non polarisées vont subir l'effet
hydrophobe, c'est à dire que, pour des raisons énergétiques,
ces parties non polarisées vont se rassembler de manière a se
protéger des molécules d'eau vers l'intérieur
de la molécule.
Le
fait que les protéines présentent à la fois des régions
polaires et non polaires est d'une grande portée car a la base
de l'organisation biologique. La forme globale d'une protéine, les grandes
lignes de sa structure tertiaire, peuvent être inscrits dans sa séquence
primaire en acides aminés : on sait qu'une suite d'acides aminés
apolaires, aussi appelés hydrophobes,
ont de fortes chances d'être enfouis au centre du globule natif alors
que les acides aminés polaires (hydrophiles)
seront exposés au contact de l'eau.
Les lipides, corps gras qui constituent la membrane cellulaire, sont au contraire de l'eau totalement apolaires : ce caractère va inverser les effets hydrophiles et hydrophobes. Si bien que les régions polarisées de molécules qui étaient, dans le réseau de molécules d'eau, orientées vers l'extérieur de la molécule vont, dans des lipides apolaires, fuir le milieu et se concentrer au centre de la molécule. De la même façon les régions non polarisées qui, dans le réseau de molécules d'eau, s'agglutinaient vers l'intérieur de la molécule, vont dans les lipides s'orienter vers l'extérieur. Ce principe est la clé du fonctionnement des protéines membranaires, telles que les protopompes ou les récepteurs.
Comment expliquer de tels comportements ?
L'effet
hydrophobe est le résultat de la tendance qu'a tout système
à tendre vers son état le plus stable énergétiquement.
Même
si nous n'aborderons rigoureusement la thermodynamique que dans la partie suivante,
consacrée à la dynamique de repliement, nous allons maintenant
avoir besoin de quelques notions pour comprendre les réactions d'un polypeptide
introduit dans l'eau.
L'élément
clé de la compréhension de l'hydrophobie est dans la notion d'énergie
de liaison : chaque liaison hydrogène de l'eau représente
une certaine énergie. Briser ces liaisons
demande donc un apport d'énergie extérieur
(cela peut être très bien illustré par l'évaporation
de l'eau : faire s'évaporer de l'eau liquide, qui implique briser toutes
les liaisons hydrogène, nécessite un apport de chaleur, soit d'énergie).
L'introduction
d'une molécule dans l'eau nécessite de déplacer des molécules
d'eau, et de briser des liaisons hydrogène : il faut fournir assez d'énergie
lors de cette introduction pour briser les liaisons H. Il en découle
que moins il y a de liaisons à briser, moins l'apport d'énergie
nécessaire est grand ; or, une molécule à parties polaires
est capable de former une ou plusieurs liaisons hydrogène
avec l'eau : l'introduction d'une telle molécule dans un milieu
aqueux ne nécessite que très peu d'énergie, puisque les
liaisons hydrogènes ne sont que déviées (elles ne sont
plus entre deux molécules d'eau mais entre une molécule d'eau
et la molécule introduite). L'introduction d'un élément
totalement apolaire, au contraire, nécessite un
apport d'énergie maximal : c'est pour cette raison qu'il est si
difficile de mélanger de l'eau et de l'huile.
La réaction d'une chaîne
polypeptidique introduite dans un milieu aqueux peut maintenant se comprendre
facilement : spontanément, les résidus hydrophobes
s'enfouissent alors que les résidus hydrophiles
forment un maximum de liaisons hydrogène avec l'eau. L'effet inverse
se produit dans les lipides, pour des raisons similaires.
Une
explication rigoureuse de la spontanéité de ce phénomène
fait en réalité intervenir la notion d'entropie, qui est la mesure
du désordre d'un système, mais nous l'utiliserons suffisamment
dans la partie suivante pour nous encombrer avec elle pour le moment.
3.3
Approche énergétique de la stabilité
Nous avons jusque là qualifié les différentes interactions intramoléculaires et intermoléculaires qui stabilisent la structure native, mais sans jamais les quantifier.
L'énergie absorbée
ou libérée lors d'une réaction chimique s'exprime en KJ.mol-1
; les énergies de liaison le seront également (il suffit donc
de diviser par la constante d'Avogadro pour convertir en KJ).
Une liaison est stable
si son énergie est supérieure à l'énergie d'agitation
thermique. L'énergie d'agitation thermique vaut R*T avec R = 8,314
J.mol-1.K-1 : à 37°C, cette énergie vaut environ 2,6 KJ.mol-1.
L'énergie d'une
liaison covalente est de l'ordre de 300KJ.mol-1 : cette liaison est extrêmement
stable. Toutefois, mis à part les ponts disulfures, aucune liaison
covalente n'est impliquée dans la stabilisation de la structure tertiaire.
Les liaisons de Van
der waals sont les plus faibles : moins de 1KJ.mol-1 ; ce qui fait leur
importance et leur relative stabilité est leur grand nombre.
L'énergie d'une
liaison hydrogène est variable : elle va de 12 à 25KJ.mol-1
en fonction de la distance entre l'atome d'oxygène et l'atome d'hydrogène.
Les forces
électrostatiques sont bien plus faibles que dans le vide à cause
de l'environnement, et notamment à cause de l'effet écran
des ions du sel (Na+ et Cl-) : 10KJ.mol-1 pour quelques angströms de distance.
Enfin, l'effet hydrophobe n'est
qu'à 4KJ par mole de CH2 ou CH3, mais joue un rôle
très important dans le guidage du repliement.
Une protéine possède
donc une relative stabilité. Selon le
nombre de ces liaisons et leurs natures, il est possible de dénaturer
une protéine en brisant certaines de ces liaisons.
A ce titre il existe des enzymes dénaturantes dont le site actif a pour
fonction de briser les liaisons des protéines en fin de vie pour
recycler les résidu-amino acides.
3.4 La structure tertiaire des protéines est organisée en domaines
La mise en place de la structure tertiaire d'une protéine se faisant dans le but de l'acquisiton d'une fonction, l'évolution a retenu certaines unités structurales particulièrement efficaces, constituées d'associations de structures secondaires.
a.
les structures supersecondaires
Dans les protéines globulaires
repliées, les hélices a
et/ ou brins b (éléments de
structure secondaire) peuvent s'associer selon
une géométrie spécifique en structures
supersecondaires - ou motifs de repliement - retrouvées fréquemment
dans de nombreuses protéines, comme des épingles
b, etc.
Ces motifs peuvent avoir une
fonction particulière ou simplement être partie constituante d'unités
structurales et fonctionnelles plus grandes et plus élaborées,
les domaines.
b.
les domaines
De nombreuses protéines
sont constituées de domaines qui représentent
des unités structurales et fonctionnelles fondamentales.
Un domaine a une taille comprise
entre 20 et plus de 300 acides aminés, et généralement
une fonction bien définie. Il est constitué
de combinaisons d'éléments de structure
secondaire et de motifs connectés par des
boucles de conformation non régulière qui se replient en
unités compactes et globulaires.
L'organisation tridimensionnelle
des domaines constitue la structure tertiaire de la chaîne polypeptidique.
Voici par exemple des domaines de structures semblables que l'on peut retrouver
dans les protéines globulaires :
Ainsi, le nombre de combinaisons
rencontrés dans les protéines est limité.
On répartit alors les protéines en trois classes selon les combinaisons
de motifs qui forment leur domaines constitutifs.
c.
classification des structures protéiques
· Structures
alpha :
Le meilleur exemple est celui
du repliement globinique : il est formé de huit
hélices nommées A à H, connectées par des
boucles très courtes et disposées
de façon à délimiter une zone hydrophobe
interne qui dans la myoglobine et les hémoglobines, accueille
un hème.
exemple du repliement
globinique
· Structures bêta :
Des brins adjacents dans
la séquence sont souvent en contact dans la structure
tridimensionnelle. La plupart des repliements b
se présentent sous la forme d'un feuillet refermé
sur lui-même, c'est à dire d'un tonneau dans lequel le premier
brin est connecté au dernier par des liaisons hydrogène...
Elles sont constituées
de brins b dont le nombre peut varier entre 4 et
plus de 10, souvent répartis en deux feuillets antiparallèles
plaqués l'un contre l'autre pour former un tonneau b
affecté d'une certaine torsion. Les structures b
ont un core hydrophobe constitué par les
résidus aminoacides hydrophobes des brins b
ainsi que par ceux des boucles qui unissent ces derniers.
Les structures
b se retrouvent dans des protéines
fonctionnellement très différentes, telles que des enzymes,
des protéines de transport et des anticorps.
le domaine b de l'immunoglobuline
le domaine b de l'immunoglobuline dans l'espace
· Les structures ab sont très fréquentes
Elles sont constituées
d'un feuillet b central entouré
d'hélices a.Les résidus aminoacides
hydrophobes des brins b
se disposent à l'intérieur d'un tonneau et les
hélices a se disposent en
périphérie. Dans ces structures, les boucles forment des
crevasses qui permettent la formation de ligands
et peuvent éventuellement posséder une activité
catalytique. Ces structures sont donc fréquentes dans les protéines
de transport et les enzymes.
une pyrovate kinase, conformation en tonneau, résidus hydrophobes
en bleu
exemple de site actif associé à un domaine ab
Nous
avons donc vu que les protéines possèdent différents
niveaux de structure. Les acides aminés, enchaînés
linéairement par des liaisons covalentes appelées liaisons
peptidiques, interagissent localement pour former des structures
secondaires stables telles que les hélices, les feuillets ou les
coudes. Ces structures secondaires servent de "poutres" dans l'établissement
de la structure 3D globale de la protéine, appelée structure
tertiaire, qui est stabilisée par cinq types d'interactions :
les liaisons hydrogène, les ponts salins, les liaisons de Van der Waals
et les ponts disulfures, qui sont des interactions intramoléculaires,
et l'effet hydrophobe, qui est une interaction avec le
milieu.
L'évolution a retenu
certaines organisations bien définies pour leur efficacité fonctionnelle,
les domaines. En effet, l'acquisition d'une structure
tridimentionnelle prédéterminée ne se fait que
dans le but de l'acquisition d'une fonction.